Ados confinés: réapprendre à vivre ensemble
Parents et ados confinés doivent s’adapter à une nouvelle réalité les obligeant à gérer leurs états d’âme pour pouvoir vivre en harmonie sous le même toit.
Parents et ados confinés
Depuis le 16 mars, les mesures de confinement se resserrent d’un jour à l’autre pour contrer le Covid-19: fermeture des établissements scolaires, invitation au télétravail, obligation de rester chez soi, afin de limiter les sorties et d’éviter les rassemblements.
Parents et enfants doivent s’adapter à une nouvelle réalité les obligeant à gérer leurs états d’âme pour pouvoir vivre en harmonie sous le même toit. Dans ce contexte, les crises d’opposition risquent d’être plus fréquentes. Mais cette situation de confinement est aussi une occasion de mieux comprendre leur origine.
Enfin libre? Pas si vrai…
L’état de confinement peut susciter diverses réactions chez les jeunes, allant de l’euphorie à la tristesse. Ils peuvent se dire:
«Enfin! Je n’entendrai plus les remarques de mon enseignant qui me font sentir inadéquat. Je n’aurai plus à satisfaire les attentes de tous et mes parents ne seront plus sur mon dos!»
Mais au fur et à mesure que le temps passe, ils réalisent que la réalité est toute autre et se sentiront coincés…
«Mes parents seront sur mon dos 24 heures par jour! Comment vais-je supporter leurs commentaires négatifs à la moindre frustration ? Finalement, c’est peut-être mieux d’aller à l’école que de rester confiner!»
Ce discours reflète le conflit interne que peuvent vivre beaucoup d’adolescents actuellement. Il a d’ailleurs été tenu par plusieurs de mes jeunes patients avec qui j’ai échangé dès le début de l’application des mesures de confinement.
Un défi d’adaptation
Le confinement familial implique la cohabitation de deux instances: l’une qui représente l’autorité (le parent) et l’autre, la recherche de l’autonomie (le jeune). Cette cohabitation impose une communication entre des personnes blessées ou non, ayant un passé douloureux ou non, et dont les raisonnements peuvent diverger ou non.
L’agencement de toutes ces dimensions peut être éprouvant. Le confinement devient alors un défi d’adaptation marqué par des moments de tensions entre les parents et leurs enfants. Une telle situation fait référence à ce que l’on appelle une période de crise. Elle reflète les conflits, tensions, menaces, contradictions et pressions tant internes qu’externes que vit un individu.
De façon générale, ces conflits apparaissent lorsque les jeunes participent à des activités sociales ou familiales au cours desquelles les interactions sont difficiles – en raison des personnes ou du contexte dans lequel ils se trouvent.
Les tensions naissent des discordances entre ce à quoi le jeune tient (ses perceptions, son raisonnement, ses besoins, ses limites, ses ressources actuels) et les exigences de la réalité ou la rétroaction extérieure. Elles peuvent être alors source de déséquilibre.
Pour s’adapter, parvenir à un équilibre et coexister avec les autres, les jeunes feront preuve soit de créativité, de rébellion ou de soumission. Dès lors, ils pourraient adopter des comportements imprévisibles jugés comme étant irrationnels et bizarres s’ils s’éloignent des normes attendues.
Un danger pour certains
Subir au quotidien le regard désapprobateur de son entourage peut pousser le jeune à intérioriser l’image négative qui lui est renvoyée. Une telle réaction peut être néfaste, voire dangereuse pour lui: le sentiment d’incompétence induit peut générer des blessures narcissiques, brimer sa confiance en soi et provoquer à moyen et long terme, un sentiment d’inutilité pouvant nourrir l’apparition d’idées noires.
De cette perspective, la période de confinement peut représenter une source d’anxiété et de souffrance psychoaffective pour les jeunes qui évoluent dans un environnement où ils se sentent incompris, dévalorisés, voire rejetés. Ce confinement peut être plus difficile à vivre aussi pour ceux qui ont un tempérament sanguin, qui aiment le changement et qui ont le sens de la découverte.
La détresse psychologique peut induire des symptômes anxio-dépressifs que certains jeunes manifestent par un niveau élevé d’agitation et d’irritabilité, et par des mécanismes de défense peu efficaces et peu productifs.
Par exemple, ils peuvent devenir méprisants, voire agressifs envers ceux qui les dévalorisent en voulant leur montrer qu’ils ont du pouvoir sur eux. Ils peuvent aussi poser des actes jugés inadaptés par leur environnement immédiat: opposition à l’autorité, petite délinquance, autodestruction.
Les comportements d’opposition viennent des pressions exercées pour que le jeune se conforme aux attentes de son milieu, sans égard à sa situation affective. Ces comportements «inadaptés» renvoient souvent à une blessure liée à l’estime de soi. Il adopte ainsi un rapport conflictuel voir agressif avec son entourage. Cette manifestation comportementale est, du point de vue de la psychanalyse, un «symptôme» que quelque chose ne va pas. Elle renvoie à une réaction adaptative en contexte de mal-être et de déséquilibre.
Pas un trouble de l’opposition
Malheureusement, de plus en plus, les comportements perturbateurs des jeunes sont rapidement catégorisés dans le répertoire des maladies mentales, par l’entremise d’un diagnostic appelé trouble de l’opposition avec provocation.
En fait, le trouble d’opposition avec provocation fait référence à un ensemble de comportements non associés à une perturbation psychoaffective. Dans un tel cas, le jeune ressent un plaisir naturel à s’opposer, à provoquer, et ce, sans exprimer le moindre regret vis-à-vis de ceux qui en paient le prix.
Alors que l’opposition, lorsqu’elle est symptôme d’un mal-être psychoaffectif, place le jeune dans un état de souffrance réelle en raison, d’une part, de la désapprobation qu’il peut lire dans le regard d’autrui et, d’autre part, de la honte qui l’habite à l’effet de se voir plongé, malgré lui, dans une attitude de «méchanceté».
Donnez-leur la parole
J’invite aujourd’hui les parents à profiter de la période de confinement pour porter un regard nouveau sur les comportements d’opposition de leur jeune, en considérant les «crises» comme des occasions d’intervenir et comprendre ce qui ne va pas.
En réalité, ces manifestations comportementales demeurent une mesure adaptative compensatoire à la détresse de l’enfant et reflètent un mal-être dont il essaie de se départir à tout prix.
J’encourage les parents à tenter de comprendre la nature des frustrations et des blessures de leurs enfants, à leur donner la parole, à s’intéresser à leurs opinions et à s’enquérir de leurs idéaux. Rester ouvert à leur réalité est plus efficace pour améliorer leurs comportements à long terme que de punir leur conduite jugée déviante.