Harcèlement dans le couple : quand la violence passe par les mots
Soirées houleuses chez des amis, confidences de proches, relations passées… Qui n’a jamais été confronté, directement ou non, à l’agression verbale au sein du couple ? Mal reconnue, peu étudiée, et pourtant endémique, le point sur cette maltraitance silencieuse.
Harcèlement dans le couple : quand la violence passe par les mots
La violence conjugale verbale est une forme de maltraitance, administrée à dose homéopathique, au quotidien. "Elle fait partie de toute une stratégie de contrôle mise en œuvre par l’agresseur, homme ou femme, en vue de déstabiliser psychologiquement l’autre et de le dominer", précise le Dr Gérard Lopez, psychiatre, président de l’Institut de victimologie. Le dénigrement est continuel, même dans les moments de calme apparent.
Les attaques verbales répétées, associées à la menace d’user de la force, nient la victime en tant que personne : "Il s’agit d’une violence émotionnelle", explique Annie Guilberteau, directrice générale du CNIDFF (Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles).
Vivre au quotidien dans un climat de peur et d’insécurité va entraîner une perte de repères, d’estime, de confiance en soi, ajoute l'experte.
Faire la différence avec une situation de conflit
La violence verbale est très différente de la situation de conflit : "Les désaccords sont normaux dans un couple,mais ils sont en général ponctuels, relatifs à une thématique précise (l’argent, les enfants), et ce n’est pas tout le temps le même qui gagne", rappelle le Dr Gérard Lopez. Le but d’un conflit est de trouver une solution à un problème donné, là où l’agression verbale a pour seule fin d’asseoir l’emprise de l’un sur l’autre.
On ne peut affirmer que la violence verbale conduit systématiquement à l’agression physique. Néanmoins, l’une et l’autre s’inscrivent dans un cycle de violence très repérable, progressant crescendo. "Les femmes victimes d’agressions physiques ont toutes été la cible dans un premier temps d’attaques verbales », note ainsi Annie Guilberteau. Ces dernières constituent de ce fait un indicateur de probables violences physiques futures."
Selon le réseau Fédération Nationale Solidarité Femmes, une femme sur dix entre 20 et 59 ans est victime de la violence de son partenaire, toutes formes de violences confondues. Aucune estimation des seules violences conjugales verbales n’a été faite à ce jour.
Quels sont les mécanismes de la violence verbale au sein du couple ?
La double contrainte
Les menaces et insultes représentent les formes les plus explicites et repérables de violence verbale. Mais l’auteur use aussi de procédés plus insidieux, à même de produire un travail de sape, de déstabilisation, tout aussi efficace. Il emploie ainsi un langage dit paradoxal, ou de double contrainte : un même énoncé va vouloir dire une chose et son exact contraire.
La contradiction peut ainsi apparaître entre le propos et le ton employé ("Je te dis que je ne suis pas énervé !" en criant), entre la phrase et l’attitude ("Bien sûr que je t’écoute", le dos tourné, en regardant la télé). Un discours tout entier peut reposer sur la double contrainte. "De cette manière, l’auteur se dégage de toute responsabilité ; la victime ne peut formuler aucun reproche", indique Annie Guilberteau. L’agresseur verbal rend impossible toute forme de dialogue ou d’échange.
"Je t’aime… mais"
Dans le même temps, l’auteur rappelle sans cesse à son/sa conjoint(e) combien il/elle l’aime, pour mieux imposer son emprise. "Le mot préféré de l’agresseur verbal est 'mais', détaille le psychiatre Gérard Lopez. Typiquement, il va construire ses propos sur ce modèle : 'Ma chérie, je t’aime, tu es libre, mais je t’interdis de sortir ce soir'." La victime se trouve acculée à un terrible dilemme : pour conserver l’amour de son conjoint, elle doit enaccepter la domination.
Comment devient-on agresseur ou victime ?
"Il existe le plus souvent, chez l’auteur comme chez la victime, un rapport avec son enfance, note le Dr Lopez, psychiatre. Si l’enfant a grandi dans une famille autoritaire, qui ne lui a pas appris à réfléchir de lui-même, il est prédisposé à tomber sous la coupe d’un agresseur, ou à reproduire le comportement agressif d’un de ses parents. Au contraire, si un enfant a appris à penser de manière autonome, il a plus de chances, une fois adulte, de repérer une situation d’agression, et de mettre fin à la relation."
Qui sont les hommes qui agressent ?
Même si le sexisme recule de fait dans nos sociétés, l’héritage d’un système inégalitaire hommes-femmes -le patriarcat- peut encore survivre dans la psychologie de certains couples. Ainsi, les hommes agresseurs sont pour la plupart pétris de préjugés sexistes, et vont en user pour justifier leur conduite.
"Les profils psychologiques dits égocentriques refusent d’admettre toute responsabilité, et rejettent systématiquement la faute sur la victime, ou le monde, détaille le Dr Lopez. Les hommes immatures sont, eux aussi, conditionnés par des motifs sexistes, mais une éducation peut être entreprise avec eux, car ils sont plus à même de remettre en cause leurs préjugés."
Qui sont les femmes qui agressent ?
Les femmes agresseurs, au contraire, cherchent le plus souvent à s'extirper de violences psychologiques : "On les retrouve beaucoup dans les milieux culturels où la domination masculine reste forte, précise le Dr Lopez. À défaut de passer à l’acte, c’est-à-dire à la violence physique, elles vont déployer une stratégie de défense à partir du langage.
Comment mettre fin à la violence verbale ?
La victime doit tout d’abord admettre sa maltraitance, ce à quoi peut s’opposer une identification à l’auteur (empathie, amour pour l’agresseur), un sentiment de culpabilité, la peur de représailles… Cette prise de conscience n’est donc pas toujours aisée, surtout lorsque la situation de domination est installée depuis longtemps.
"Le déni est fréquent chez toutes les femmes, et particulièrement actif chez les femmes de milieux nantis, souligne Annie Guilberteau. Ces dernières présument à tort que les violences conjugales ne concernent que les milieux défavorisés, et s’attribuent d’autant plus la responsabilité des actes qu’elles subissent."
Que dit la loi ?
Il n’existe pas de qualification juridique pour les violences verbales. Elles font malgré tout partie des atteintes à l’intégrité de la personne, au même titre que les autres formes de violence. Déposer une plainte est donc toujours possible, mais il est beaucoup plus difficile de prouver les violences, a fortiori verbales, devant un tribunal. Il faut pour cela réunir des preuves (témoignages, attestations médicales, enregistrements…).
La violence verbale représente un véritable abus de pouvoir : il ne faut pas laisser la situation perdurer. "Une plainte ou une déclaration déposée auprès de la police peut constituer une sorte d’électrochoc chez l’agresseur, lui faire prendre conscience qu’il a un problème", estime le psychiatre Gérard Lopez. Et dans certains cas, une thérapie, un suivi psychologique, peut par la suite porter leurs fruits chez l’auteur.
Où trouver de l'aide ?
Les associations d’aide aux femmes victimes de violences, comme les CIDFF (Centres d'information sur les droits des femmes et des familles) et la FNSF (Fédération Nationale Solidarité Femmes) sont là pour soutenir les victimes, les informer de leurs droits, sous garantie d’anonymat et de confidentialité.
Le site du CNIDFF (Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles), qui fédère 114 CIDFF implantés partout en France
Le site de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF)
Le site du ministère du Travail, des Relations Sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville
Le site de l’Institut de victimologie du Centre Hubertine Auclert
Vous êtes victime de violences ?
Composez le 3919 pour contacter "Violence Femmes Infos", le service téléphonique national d'écoute des femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...)
Ce numéro est gratuit et anonyme, accessible 7 jours sur 7 (de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedis, dimanches et jours fériés).